Droit administratif (Administrative Law)

Marie-Claude Prémont, Professeure titulaire
École nationale d'administration publique

marie-claude.premont@enap.ca

Le droit administratif s'inscrit dans la discipline juridique et renvoie à l'ensemble des principes et des règles de droit qui s'appliquent à l'administration publique, à ses organes et aux actes posés dans les relations qu'entretiennent entre elles les différentes composantes de l'administration publique ou que l'administration publique entretient avec les personnes. Le droit administratif est une branche du droit public où il convient notamment de le distinguer du droit constitutionnel dont il est, dans une certaine mesure, la concrétisation. Le droit administratif est donc national par nature (par opposition à international). Il se colle aux territoires des États et se décline également à toutes les échelles infraétatiques selon les compétences de ses diverses composantes (droit scolaire, droit municipal, droit sociosanitaire, etc.). Le droit administratif regroupe des principes généraux applicables à l'ensemble des pouvoirs publics, mais il se conjugue aussi dans des domaines spécialisés où des mécanismes et des règles particulières se mettent en place (droit de l'environnement, droit de l'immigration, droit fiscal, etc.).

Certains font remonter les origines du droit administratif au droit romain, au moment où se développent les règles de l'exercice du pouvoir public et de la sujétion. Il serait aussi possible de suivre son développement par les mécanismes du droit canonique ou d'observer son émancipation sous le droit seigneurial et la puissance des villes du Moyen Âge (Truchet, 2008).

Toutefois, le droit administratif tel qu'il existe aujourd'hui n'a pris son essor et ses grandes orientations qu'au moment de la mise en place de l'État administratif. Ce dernier se développe à compter du XVIIIe siècle, notamment en France et en Angleterre, tout en s'appuyant sur une bureaucratie pour mettre en œuvre ses politiques (Weber, 1995). L'État administratif, par le truchement du droit administratif, autolimite alors ses pouvoirs au fur et à mesure que s'étiole la monarchie de droit absolu. Il prend une importance croissante dès la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle avec le développement de l'État social, dont les ramifications touchent toutes les dimensions de la vie en communauté. Le droit administratif s'intéresse donc principalement aux contours et aux limites de l'exercice du pouvoir administratif de l'État. Il faut en conséquence en exclure l'activité parlementaire.

Les deux grandes traditions juridiques du droit civil et de la common law (Glenn, 2007) donnent chacune une coloration particulière au concept de droit administratif. La conception française, pôle central de la tradition civiliste, repose sur une distinction fondamentale entre le droit public et le droit privé, estimant que le droit public, et donc le droit administratif, s'articule autour de règles qui ne sont pas nécessairement assimilées à celles de droit privé (voir l'arrêt séminal du Tribunal des conflits dans l'affaire Blanco de 1873, identifié comme acte de naissance du droit administratif français). Les litiges doivent y être entendus par un juge administratif spécialisé, et ce, jusqu'au plus haut tribunal d'appel administratif qu'est le Conseil d'État. Le droit administratif français s'articule autour des principes sur le concept de la puissance publique qui détient le privilège d'agir de façon unilatérale, pour autant que ses actions soient animées par la recherche de l'intérêt public dans la prestation des services publics, comme prévu par la loi. Cette tradition, sous des variantes parfois importantes, s'étend à l'échelle de l'Europe continentale et même au-delà, jusqu'aux anciennes colonies de ces divers pays. Au sein de cette tradition civiliste, le fonctionnement des pouvoirs étatiques et de ses organes se résume à travers le concept de l'« État de droit » (Chevallier, 1992; Barilari, 2000).

À l'opposé, sous l'influence de Dicey qui se méfiait de l'activité administrative de l'État (Dicey, 1959), le droit administratif anglais ne saurait en principe prétendre à des règles qui lui sont propres. Les organes administratifs de l'État devraient non seulement se soumettre aux principes de droit commun, mais aussi aux tribunaux ordinaires, dont le rôle quant au contrôle de l'activité administrative de l'État se trouve ainsi renforcé (voire constitutionnalisé, comme au Canada). La conception britannique étend son influence à l'échelle du Commonwealth et résume sa position par le concept de la rule of law, étant entendu que les pouvoirs publics doivent, au même titre que le simple citoyen, se soumettre au droit ordinaire, à moins d'exceptions ou de prescriptions explicites de la loi. Certains territoires, dont le Québec et l'Afrique du Sud, se trouvent au carrefour des deux traditions en raison des aléas de l'histoire de l'influence successive de l'une et l'autre des deux grandes traditions juridiques.

Peu importe la famille juridique d'attache, le droit administratif s'étudie le plus souvent par deux voies tant complémentaires qu'essentielles, soit l'étude de l'organisation de l'État et de ses organes et l'étude des mécanismes de contrôle de l'activité administrative qui vise à assurer le respect des droits des justiciables et à éviter l'abus de pouvoir de la part de l'État.

Les principes de droit administratif ne peuvent normalement dicter le contenu substantiel du « bon » droit ou de celui qui devrait l'être. Dans les démocraties, le principe de la souveraineté parlementaire réserve ce rôle au Parlement. Le droit administratif se concentre donc sur les structures de l'administration publique, sur les processus qui doivent être respectés dans la prise de décision, sur les modalités des actes posés ainsi que sur les mécanismes offerts au justiciable pour exiger de l'administration publique qu'elle exerce ses pouvoirs d'une façon conforme au droit. L'objet premier du droit administratif varie selon les auteurs. Pour certains, l'essence du droit administratif vise à combattre l'arbitraire dans le fonctionnement de l'État, en soumettant l'appareil étatique à la règle de droit (Endicott, 2006, p. 9). Pour d'autres, l'objet premier est d'assurer à la puissance publique les outils nécessaires à son fonctionnement efficace, ou encore d'exiger l'imputabilité des organes publics dans la prise de décision, tout en assurant la participation citoyenne aux processus décisionnels (Craig, 2008).

Sous un aspect très formaliste et procédural, s'appuyant sur des principes et des distinctions en apparence clairs et élégants, mais qui s'avèrent à l'usage parfois jésuitiques, comme le principe de l'ultra vires ou la distinction entre l'appel et la révision judiciaire dans la tradition de common law, le droit administratif cache des enjeux de fond quant au rôle de l'État, à l'exercice des pouvoirs publics et au contrôle de l'activité gouvernementale au sein des sociétés démocratiques. Au cours de son histoire plus récente, le droit administratif a été, et est encore parfois, le siège de luttes féroces entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif ou exécutif, parfois décrites par une théorie d'un dialogue engagé entre le législateur et les tribunaux (Roach, 2001). L'usage des principes du contrôle judiciaire a ainsi mené à ce qui est appelé l'activisme judiciaire auquel s'oppose la réserve judiciaire, menant à son tour à l'élaboration de la théorie complexe de la norme de contrôle judiciaire. Le pouvoir de contrôle des tribunaux judiciaires a, par exemple, été utilisé au XXe siècle pour ralentir le développement des tribunaux administratifs et de l'État social (Lambert, 1921). Or, les principes sous-jacents de l'État de droit ne sont pas toujours valorisés lorsque les tribunaux judiciaires interfèrent trop activement dans les décisions de l'administration publique (Endicott, 2006, p. 19), comme l'ont souligné plusieurs auteurs dans le monde.

L'adoption de chartes des droits par plusieurs États, dont le Canada, a aussi modifié la relation entre le droit administratif et le droit constitutionnel, tout comme la relation entre les divers pouvoirs sur lesquels s'appuie l'action de l'État. L'idée de l'autolimitation des pouvoirs publics y est poussée encore plus loin et touche directement la souveraineté parlementaire, plaçant ainsi souvent en directe opposition les droits collectifs et les droits individuels.

La progression des accords internationaux de libéralisation du commerce et la création d'un droit administratif international (voir par exemple le droit de l'Union européenne) ont aussi donné au droit administratif une autre échelle d'action, soit une échelle internationale. La norme juridique supranationale interagit avec le droit constitutionnel et administratif des États membres, ce qui pose de nouveaux enjeux de fond (Auby et De la Rochère, 2007; Raimbault et Bioy, 2006). Le droit administratif qui, selon la conception dominante élaborée au cours du XXe siècle, ne devait pas s'immiscer dans le rôle joué par les Parlements y trouve, par les mécanismes alimentés par la mondialisation, des voies d'interférence et de contrôle de la démocratie, mais aussi des voies d'évitement de la règle de droit des États (Mockle, 2002).

Aujourd'hui comme hier, le droit administratif touche ainsi souvent à la définition des politiques publiques, tout en objectant farouchement qu'il ne saurait le faire, se limitant en principe au simple respect de la règle de droit déterminée par le législateur. Il est de la nature du droit administratif de marcher sur l'étroite et difficile frontière entre le politique et le droit.

Bibliographique

Auby, J.-B. et J. de la Rochère (dir.) (2007). Droit administratif européen, Bruxelles, Bruylant.

Barilari, A. (2000). L'État de droit : réflexion sur les limites du juridisme, Paris, LGDJ.

Chevallier, J. (1992). L'État de droit, Paris, Montchrestien.

Craig, P. (2008). Administrative Law, 6e éd., London, Sweet & Maxwell.

Dicey, A. V. (1959). Introduction to the Study of the Law and the Constitution, London, Macmillan.

Endicott, T. (2006). Administrative Law, Oxford, Oxford University Press.

France. Tribunal des conflits. (8 février 1873). Blanco, 1er supplt, Rec. Lebon p. 61.

Glenn, H. P. (2007). Legal Traditions of the World, 3e éd., Oxford, Oxford University Press.

Lambert, É. (1921). Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis, Paris, M. Giard.

Mockle, D. (dir.) (2002). Mondialisation et État de droit, Bruxelles, Bruylant.

Raimbault, P. et X. Bioy (dir.) (2006). La puissance publique à l'heure européenne, Paris, Dalloz.

Roach, K. (2001). The Supreme Court on Trial: Judicial Activism or Democratic Dialogue, Toronto, Irwin Law.

Truchet, D. (2008). Droit administratif, Paris, Presses universitaires de France.

Weber, M. (1995). Économie et société, Paris, Pocket.

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Reproduction
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Pour citer
Prémont, M.-C. (2012). « Droit administratif », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)