Mondialisation (Globalization)

Emmanuel Nyahoho, Professeur
École nationale d'administration publique

emmanuel.nyahoho@enap.ca

Mondialisation[1] est un mot fréquemment utilisé de nos jours, que ce soit pour qualifier les relations denses et exigeantes entre les États ou l'énorme mouvement des capitaux et des échanges commerciaux. Pourtant, ce phénomène d'interdépendance et d'intensité des échanges entre pays n'est pas nouveau. Certains parlent même de 2000 ans de mondialisation en évoquant l'immense Empire romain au cours duquel des échanges d'objets, d'idées, de coutumes, de lois, de croyances religieuses et de monnaies se déroulaient (Revue L'Histoire, 2008, p. 28). Évidemment, Rome a grandement profité de cette mondialisation puisque comme le veut l'adage : « Tous les chemins mènent à Rome. » Cet article a pour objectif de mieux circonscrire ce phénomène afin de situer sa nouveauté.

Plusieurs définitions anecdotiques de la mondialisation apparaissent ici et là. MacGillivray (2006, p. 4-7) rapporte que pour Bill Clinton, ancien président des États-Unis, ce mot signifie un monde sans murs (world without walls); pour Tony Blair, ancien premier ministre du Royaume-Uni, la mondialisation est un phénomène inévitable et irréversible, alors que pour d'autres observateurs, elle concerne des liens commerciaux et de confiance mutuelle (ties of trade and trust). Cette approche de définition de la mondialisation fait référence aux considérations politiques. L'approche économique retient également l'attention. Ainsi pour l'économiste Paul Krugman, comme rapporté par MacGillivray, « globalization is a catchall phrase for growing world trade, the growing linkages between financial markets in different countries, and the many other ways in which the world is becoming a smaller place ».

En somme, Krugman met l'accent sur l'accélération et l'ampleur des échanges mondiaux de biens, de services et de capitaux. L'économiste Joseph Stiglitz (2003, p. 9) retient également cette définition tout en insistant sur l'abaissement généralisé des tarifs et sur l'intégration croissante des économies. Pour Bhagwati (2004, p. 3), la mondialisation est le reflet de l'intégration des économies nationales en une économie internationale à travers le commerce, l'investissement direct étranger (IDE), les flux de capitaux, les flux migratoires ainsi que les transferts technologiques. Du point de vue des altermondialistes, dont l'International Forum on Globalization, le système mondialisé de production et d'échange est dominé par les firmes multinationales qui ne sont pas redevables aux gouvernements nationaux démocratiquement élus. Cette perception des altermondialistes recoupe à la fois une définition et une critique de ce phénomène. C'est d'ailleurs à dessein que l'essayiste John Saul (2006, p. 11-26) parle de « mort de la globalisation » en faisant référence à ses écueils ou à ses divers aspects dysfonctionnels. Le terme mondialisation semble mieux défini dans l'analyse de Lévy (1997), dont l'angle paraît plus systémique et plus compatible avec les évidences empiriques.

En fait, Lévy explique que la mondialisation est un processus graduel qui s'est déroulé à travers différentes phases. La définition de ce terme peut ainsi se faire en référence à trois caractéristiques :

  • le comportement et l'origine des firmes;
  • la conjoncture économique;
  • le rôle et la place de l'État dans l'économie.

Si de tout temps les pays se sont échangé des biens, il n'en demeure pas moins que la crise de 1930 et la Seconde Guerre mondiale ont considérablement freiné les échanges mondiaux. C'est ainsi qu'à la fin des hostilités, les pays ont clairement signifié leur désir de s'ouvrir davantage en adhérant au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) mis sur pied en 1948. La période allant de 1945 jusqu'au milieu des années 1960 serait caractérisée par une internationalisation, laquelle se définit comme le processus entourant la production et la vente à l'étranger. Le mot international signifie, selon Le Nouveau Petit Robert : « Qui a lieu, qui se fait de nation en nation, entre plusieurs nations… ». Ce qui retient l'attention, c'est le fait que les firmes qui délocalisent leurs installations de production à l'étranger ou alors qui déversent leurs produits dans divers pays du monde, en particulier l'Europe de l'Ouest et le Japon, sont presque l'exclusivité des firmes américaines (GM, Ford, Gillette, etc.). Bien que la conjoncture économique tout au long des années 1950 ait été favorable aux échanges internationaux, grâce entre autres au redémarrage de la production des biens de consommation courante et des biens d'infrastructure, le climat politique était dominé par la guerre froide ainsi que par un haut degré de protectionnisme chez les principaux alliés des États-Unis. Ainsi, plusieurs pays de l'Europe, du Japon et des pays en voie de développement (PVD) ont mis en place des réglementations sévères sur les IDE dans l'optique de stimuler le développement de leurs industries naissantes et de limiter la puissance économique américaine jugée, à tort ou à raison, déstabilisante.

Au cours de la période comprise entre 1965 et 1980 se développe une forme de mondialisation pouvant être définie comme l'émergence des marchés mondiaux pour des produits de consommation uniformisés et la croissance des entreprises d'envergure internationale. Au Canada, les firmes multinationales (GM, GE, Ford, Bank of America, Bechtel, Toyota, Honda, Siemens, BASF, Electrolux, etc.) proviennent non seulement des États-Unis, de l'Europe de l'Ouest et du Japon, mais également de nouveaux pays industrialisés comme la Corée du Sud (Hyundai, Daewoo), l'Australie (BHP) et le Mexique (CEMEX). Cette conjoncture économique reste positive et est particulièrement marquée par une hausse appréciable des flux de capitaux tirée par l'euromarché et une réduction importante des tarifs douaniers. Arrive cependant la chute du Bretton Woods dès 1971, avec l'abandon du système de parité fixe au profit des taux flexibles (officialisé un peu plus tard par l'accord de la Jamaïque en 1976). L'avènement des taux flexibles ramène la hantise du sentiment protectionniste qui a prévalu dans les années 1930 alors que les pays s'adonnaient à des matchs de manipulation de la valeur de leur devise à des fins de compétitivité internationale. Par ailleurs, les États-Unis, de plus en plus contraints au problème du double déficit (commercial et budgétaire), sont plus réticents à jouer un rôle de locomotive dans la promotion du libre-échange. De leur côté, les pays de l'Europe de l'Ouest, de l'Afrique et de l'Amérique latine voient leur avenir commercial dans le développement des blocs régionaux. Dans divers pays, particulièrement dans les PVD, les relations entre l'État et les firmes multinationales sont tendues au point où l'IDE est fortement réglementé et contrôlé.

De 1980 à aujourd'hui, ce phénomène de mondialisation s'est nettement amplifié. D'abord, les pays d'origine des firmes multinationales sont plus diversifiés : États-Unis, Europe, Japon, nouveaux pays industrialisés, PVD. Même de petites et moyennes entreprises (PME) y voient une occasion de dépasser le marché intérieur. Il est également utile de souligner la percée de l'internationalisation des services qui a connu une croissance vigoureuse tout au long des années 1980 et 1990. Quant à la conjoncture économique mondiale, elle a été d'abord soumise aux chocs pétroliers, pour ensuite être dominée, d'une part, par l'endettement massif des PVD et, d'autre part, par une croissance non inflationniste dans les pays industrialisés, et ce, jusqu'à la crise des prêts à haut risque dès la fin de l'année 2008. La mise en œuvre du « consensus de Washington », prônant des programmes d'ajustement structurel, appelle les PVD lourdement endettés à desserrer leurs contraintes sur l'IDE et à s'ouvrir davantage. Dans les pays industrialisés, le mot d'ordre est alliance stratégique, d'une part, entre les firmes multinationales et, d'autre part, entre les gouvernements et les firmes nationales ou étrangères.

En conclusion, la mondialisation est reflétée par la croissance vigoureuse et persistante des échanges de marchandises et de services, le déplacement des installations de production d'un pays à un autre par les firmes d'origines diverses et le transfert massif de capitaux propulsé d'un endroit à un autre par une déréglementation de l'IDE. Parmi les facteurs positifs émergeant de ce phénomène se trouvent la diminution des sentiments protectionnistes, ce qui laisse place à une plus grande ouverture sur le monde, la convergence des goûts des consommateurs qui favorise l'exploitation d'économie d'échelle et, finalement, la croissance des économies de l'Asie et des pays du Pacifique (Wachter et Foxen, 1989, p. 4). Du côté des forces menaçantes, il y a lieu de mentionner l'accroissement de la compétitivité, les fluctuations instables des taux de change, l'accélération du rythme de l'évolution technologique et la possible éphémérité de la rente technologique.

Enfin, le mot mondialisation signifiant : « Qui intéresse toute la terre » selon Le Nouveau Petit Robert a un sens plus profond que le terme internationalisation. Le mot anglais globalization, pour mondialisation, évoque assez bien son intensité puisque le vocable global réfère à l'étendue, alors que les mots qui contiennent « ize » évoquent le qui et le pourquoi (MacGillivray, 2006, p. 7).

Bibliographie

Bhagwati, J. (2004). In Defense of Globalization, New York, Oxford University Press.

Le Nouveau Petit Robert (2001). Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert.

Lévy, B. (1997). « Multilatéralisme et régionalisme : indépendance stratégique des États et des firmes », Document de travail 97-09, Ottawa, Université d'Ottawa.

Revue L'Histoire (2008). « 2000 ans de mondialisation », Les Collections de l'Histoire, no 38.

MacGillivray, A. (2006). A Brief History of Globalization, New York, Carroll & Publishers.

Saul, J. (2006). Mort de la globalisation, Paris, Payot.

Stiglitz, J. (2003). Globalization and it's Discontents, New York, W.W. Norton & Company.

Wachter, T. et R. Foxen (1989). Going Global, Business Intelligence Program, Rapport, no 782.


[1] Ce texte est une reproduction autorisée d'une partie du chapitre 2 du manuel Le Commerce International : théories, politiques et perspectives industrielles que l'auteur a publié auprès des Presses de l'Université du Québec, Ste-Foy,
janvier 2011.
 
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Reproduction
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Pour citer
Nyahoho, E. (2012). « Mondialisation », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, (en ligne), www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)