Gestion du risque (Risk Management)

Marie-Christine Therrien, Professeure
École nationale d'administration publique

marie-christine.therrien@enap.ca
Avec la collaboration de Julie-Maude Normandin

Le risque est une notion permettant de qualifier une situation et d'agir en conséquence. Il est défini comme le produit de la probabilité et des conséquences d'un événement (Taylor-Gooby et Zinn, 2006, p. 22-26). Le risque diffère ainsi de l'incertitude, car pour l'apprécier quantitativement ou qualitativement, les connaissances doivent être suffisamment développées pour permettre d'établir les chances qu'un événement survienne ainsi que ses répercussions. Si, de prime abord, les conséquences positives sont incluses dans cette conception, le risque est souvent restreint aux effets néfastes pour la vie humaine, l'environnement ou la survie de l'organisation. Cette vision positiviste du risque est cependant critiquée par de nombreux courants.

La provenance du mot risque demeure controversée (Taylor-Gooby et Zinn, 2006, p. 3-4). Selon Wharton (1992), il proviendrait de l'arabe risq signifiant « quelque chose pour lequel l'on peut tirer un profit ». Le terme latin resecum signifiant « ce qui coupe », puis un « rocher escarpé » et un « écueil » est une autre origine possible du mot risque (Rey, 1992, p. 1813). Les évolutions subséquentes de ce terme latin correspondraient au danger encouru par la marchandise lors du transport en eaux peu explorées (Giddens, 1999; Ewald, 2002) et aux retombées incertaines des grands voyages en mer à l'époque des premiers pas de l'économique mercantiliste (Taylor-Gooby et Zinn, 2006, p. 3-4). Selon Rey (1992, p. 1813), le linguiste français Guiraud accorderait peu de crédit à cette théorie, attribuant pour sa part l'origine du mot risque au roman rixicare, dont l'utilisation aurait dérivé des idées de « combat » et de « résistance » pour finalement prendre le sens de « danger ».

Selon Bischoff (2008), la principale lacune des analyses positivistes sur les risques réside dans l'absence de prise en compte du contexte entourant les événements, comme les dimensions psychologique, sociologique et économique. Pour tenir compte de ces aspects et expliquer leur influence sur les risques, plusieurs courants se sont développés (pour en savoir plus, voir la revue de littérature dans Taylor-Gooby et Zinn, 2006; Renn, 2008).

La psychométrie a été l'une des premières disciplines à s'attarder à cette question en analysant quantitativement les facteurs influençant la perception des risques, notamment les travaux de Slovic, Fischhoff et Lichtenstein. Ainsi, la nécessité d'aller au-delà de l'analyse des conséquences et des probabilités pour comprendre la réaction du public envers les risques a été démontrée. La perception du risque semble être davantage influencée par deux types de facteurs, ceux qui caractérisent la sévérité des dangers (nombre de décès attendus, degré de contrôle possible du danger, effets sur les générations futures, etc.) et ceux concernant le niveau de connaissance et de familiarité des dangers (état des connaissances, observation directe du danger, historicité du danger, etc.) (Taylor-Gooby et Zinn, 2006, p. 30).

Rompant avec les recherches centrées sur la relation entre l'individu et le risque, Douglas et Wildavsky (1982) ont développé la théorie culturelle du risque. Pour eux, le risque est une construction élevée au sein de différentes organisations sociales. Dans l'analyse de ces dernières, ils distinguent deux dimensions, soit celle de grille pour déterminer le degré de régulation ou de prescription des normes sociales exercées sur la vie individuelle et celle de groupe qui correspond au niveau d'identification des individus au groupe. Quatre idéaux types émergent alors : la culture individualiste privilégiant la prise de risque pour bénéficier des retombées positives; la culture égalitariste (d'abord appelée sectaire) favorisant la solidarité et la vision à long terme au détriment des activités hasardeuses; la culture bureaucratique procédant à la mise en place de normes et de procédures pour la gestion des risques; la culture des fatalistes qui tentent de compter sur eux-mêmes et qui sont réticents aux risques qui leur sont imposés.

Par leurs écrits sur la société actuelle, Beck (1992) et Giddens (1990) ont tenté de caractériser les effets de la perte de légitimité subie par les grandes rationalités de la modernité. Les principaux attributs de cette nouvelle modernité réflexive (Renn, 2008, p. 25-30) sont l'individualisation des styles de vie par une multiplication des choix possibles, mais accompagnés d'une perte d'orientation sociale lorsque les individus sont confrontés à des dilemmes; l'existence d'une large gamme de connaissances et de valeurs créant des systèmes parallèles et en compétition; une difficulté de plus en plus grande à définir des objectifs communs en raison de la confrontation des actions collectives avec les intérêts privés; l'importance accordée aux conséquences négatives des actions par rapport aux retombées positives. Cette thèse suggère que la population des sociétés industrialisées, étant de plus en plus critique à l'égard des idéaux portés par le progrès, conteste la légitimité des objectifs communs et ouvre ainsi la voie à de nouveaux types de risques.

Le développement récent de la théorie de l'amplification sociale des risques (Pidgeon, Kasperson et Slovic, 2003, p. 16) est une tentative d'intégrer les approches de la psychométrie et l'analyse socioculturelle pour créer un cadre d'analyse portant sur la perception et la réponse aux risques (Renn, 2008, p. 38-39). Cette théorie se concentre sur la compréhension des processus d'amplification et d'atténuation mis en place lors de la communication des dangers. Les chercheurs se penchent sur la construction des risques qui émergent des processus de transmission des messages par l'entremise des médias, des institutions ou du jeu politique. En ce sens, les risques deviennent le fruit de la conjonction des conséquences physiques, mais aussi des processus sociaux, culturels, institutionnels et psychologiques.

De nombreuses autres approches théoriques sont également utilisées dans la recherche sur les risques. C'est ainsi que les écrits de Foucault (1975) sur la gouvernementalité, d'Habermas (1975 et 1991) sur l'agir communicationnel et de Luhmann (1982 et 1993) sur les systèmes sociaux font également partie du corpus utilisé par les chercheurs pour définir et analyser les risques.

Selon le type de risque rencontré, les organisations peuvent utiliser quatre types de stratégie pour les gérer (Bischoff, 2008). La première consiste à éviter le risque en s'écartant de la source de danger ou en l'éliminant. L'atténuation des risques par la réduction de la gravité des conséquences négatives ou les probabilités d'occurrence de celles-ci est une autre voie possible. Dans certains cas, les organisations optent plutôt pour le transfert de risque par la répartition des conséquences entre plusieurs entités comme par l'achat d'assurance. Par ailleurs, il est possible d'accepter la responsabilité des risques dans le but d'en tirer des dividendes possibles. Enfin, la décision de choisir l'une ou l'autre de ces actions s'avère être une opération délicate, puisque de nombreux critères doivent être pris en compte comme la complexité du risque, ses effets à long terme, les lois et les normes existantes, la priorité de ce risque par rapport à d'autres, l'opinion des parties prenantes ou encore l'acceptabilité sociale du risque (Renn, 2008, p. 173-184).

La communication des risques est un autre aspect important. Plusieurs objectifs peuvent être poursuivis lors d'exercices de communication (Renn, 2008, p. 201-204). L'éducation de la population sur la nature du danger et les mesures à prendre est fréquemment l'un des buts des campagnes d'information. De manière préventive, les organisations souhaitent aussi inculquer de nouveaux comportements ou modifier ceux qui peuvent s'avérer néfastes. Par ailleurs, les experts des relations publiques tentent parfois de rassurer les citoyens sur les moyens et les actions mis en place pour assurer leur sécurité. Dans le cas d'enjeux controversés, les campagnes de communication visent aussi à interpeller les parties prenantes et la population dans le but de les amener à prendre part aux étapes de définition et de gestion du risque.

Bibliographie

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Reproduction
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Pour citer
Therrien, M.-C. avec la collaboration de J.-M. Normandin (2012). « Gestion du risque », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l'administration publique, [en ligne], www.dictionnaire.enap.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada, 2012 | ISBN 978-2-923008-70-7 (En ligne)

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